Mais j'aimais surtout qu'il n'y eût guère de sacré chez Ignace. Les mitres et les chasubles ne m'ont jamais plu, et tout cet appareil processionnaire où l'orgueil des hommes se complaît, dans lequel ils me paraissent prostituer Dieu à leur désir de gloire, et par lequel ils maintiennent les peuples dans une crainte révérencielle qui justifie à mes yeux l'athéisme le plus incommode. Les églises elles-mêmes ne m'inspirent guère. Si sensible que je sois aux écrits des théologiens orthodoxes, je ne suis jamais, comme eux, parvenu à les prendre pour de petits fragments du Royaume. On trouve dans les récits du rav de Berditchev la description d'une synagogue trop pleine de pensées étrangères à Dieu pour que la prière puisse s'en élever. Il n'y a pas de sacré dans l'Évangile. Jésus chemine avec ses disciples, s'assied fatigué sur le bord d'un puits, dort dans une barque, allume un feu sur la grève. Après la Résurrection, il laisse un simple mortel, Thomas, passer la main sur ses plaies. Il met ses disciples en route en leur recommandant de ne pas prendre d'argent avec eux, et ne leur enjoint pas de bâtir des temples. Il défend d'appeler un homme «mon père», ou «bon maître». Ignace me semblait accordé à cet esprit-là, lui si attentif à la partie qui se joue dans l'homme, et si pérégrinant. Que le christianisme ait souvent pris les traits, dans son histoire, d'une religion politique et immobilière reste pour moi un sujet d'étonnement, tant le maître de Nazareth et les saints qu'il a inspirés me sont toujours apparus éloignés du pouvoir, des bâtiments et de la crainte qu'ils inspirent, et, d'une certaine manière, de l'idée même de «religion». J'aimais par-dessus tout qu'Ignace fût mort seul dans sa chambre, sans son confesseur introuvable, sans la bénédiction du pape, et privé des derniers sacrements de l'Église. «Il quitta ce monde d'une manière tout ordinaire, écrit Polanco ; et sans doute dut-il obtenir de Dieu, dont la seule gloire était l'objet de ses désirs, cette grâce de ne pas avoir d'autres signes particuliers marquant sa mort.»

Inigo (Ignace de Loyola) - François Sureau